En attendant le bonheur - Heremakono

DVD
Nouadhibou est une petite ville de pêcheurs, ensablée et arrimée à une presqu'île de la côte mauritanienne. Un lieu de transit. En attendant son départ pour l'Europe, le jeune homme Abdallah y retrouve sa mère. Comme il ne connaît pas la langue locale, il tente de comprendre ceux qui l'entourent, de déchiffrer cet univers: Nana, une femme sensuelle qui cherche à le séduire, Makan qui rêve de l'Europe, et Maata, ancien pêcheur reconverti en électricien, accompagné de Khatra, son apprenti en culottes courtes. C'est lui qui enseigne la langue à Abdallah pour que celui-ci puisse rompre le silence dans lequel il est confiné. Tous ou presque ont le regard rivé vers l'horizon, en attendant un hypothétique bonheur. Un film grave et aérien, tourné par Abderrahmane Sissako avec beaucoup d'humour et qui sait dire aux peuples riches qu'ils ne peuvent ignorer tous ces gens qui voudraient le rejoindre. Mais il rappelle aussi au Sud tout ce qu'il y a à perdre en tournant son regard uniquement au-delà des mers ou du désert. Le film a entre autres obtenu le Prix de la Critique Internationnale au Festival de Cannes 2002.

Abderrahmane Sissako: «Les lieux comme Nouadhibou sont provisoires, comme des parenthèses. Au Mali ils portent un nom : « Heremakono », c�est-à-dire «En attendant le bonheur». (...) L'idée de transiter quelque part avant d'aller vers un lieu que l'on n'atteindra peut-être jamais, l'exil avant le voyage, est le point de départ de ce film. C'est déjà exilé que je me suis mis moi-même à voyager. (..) J'ai voulu raconter le parcours de quelqu'un à qui il manque l'un des codes principaux pour intégrer la société : la langue. Quand la langue manque, le regard devient un mode de communication, s'aiguise. On devient plus attentif au monde qui nous entoure. (..) Le sentiment de ne pouvoir aller vers l'autre rive, d�être privé de sa liberté d'homme nous est familier, à nous, Africains. La mer rejetant un corps sur les rivages de Nouadhibou, de Tanger ou de Tarifa symbolise le refus d'une civilisation à une autre. Ce refus de nous est une violence dont on ne parle pas. (...) J'ai privilégié les improvisations car lorsque l'on travaille avec des acteurs non professionnels et que l'on filme dans un lieu jamais exploré par le cinéma, on est plus élève que maître, moins réalisateur que spectateur attentif. Chaque jour, il fallait être disponible et abandonner ce qui était écrit pour aller vers la vie.»
Adaptation d'un entretien réalisé par Franck Garbarz

Festivals & prix

Cannes 2002, Un certain regard
6 Biennale des Cinémas Arabes, Paris:
Grand Prix Institut du Monde Arabe
Pusan 2002
Fespaco 2003, Ouagadougou: Grand prix du cinéma africain
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Fiche technique

Titre original
En attendant le bonheur - Heremakono
Titre
En attendant le bonheur - Heremakono
Réalisation
Abderrahmane Sissako
Pays
Mauritanie
Année
2002
Scénario
Abderrahmane Sissako
Montage
Nadia Ben Rachid
Image
Jacques Besse
Son
Antoine Ouvrier, Alioune Mbow
Costumes
Majida Abdi
Décors
Joseph Kpobly, Laurent Cavero
Production
Duo Films
Formats
35mm, DVD
Durée
95 min.
Langue
Hassaniya, Bambara, Französisch/d/f
Interprètes
Khatra Ould Abdel Kader (Khatra), Maata Ould Mohamed Abdeid (Maata), Mohamed Mahmoud Ould Mohamad (Abdallah), Nana Diakité (Nana), Fatimetou Mint Ahmeda (Soukeyna), Makafing Dabo (Makan), Nèma Mint Choueikh (Chanteuse)

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Organisation

Revue de presse

«Avec des plans gorgés d'espace, de lumière et de patience, avec également
beaucoup d'humour (arme fatale des cinéastes en colère), Sissako transmet
une vision infiniment subtile des rapports Nord-Sud.»
Les Inrockuptibles


"Il n'y a pas besoin d'histoires pour leur donner vie, puisque justement Heremakono, expression malienne qui se traduit par "en attendant le bonheur", saisit ces êtres dans l'attente. Nouadhibou reste une ville mauritanienne, dont l'identité est rappelée par d'innombrables détails, mais le regard d'Abderrahmane Sissako transforme la cité en un monde où le temps obéit à d'autres règles, où l'attente et l'élaboration des désirs et des rêves occupent plus l'esprit et les corps que l'accomplissement.Le film est fait de scènes délicatement juxtaposées, dont l'addition par le montage prend un sens à la fois cohérent et changeant, comme un paysage se transforme au fil des heures du jour. Parfois, il suffit d'un geste pour faire la séquence : une jeune femme voilée de rose traverse une route presque recouverte par le sable devant une voiture arrêtée à une barrière.

A ces instants fugaces répondent de longues séquences comiques, qui montrent les difficultés qu'il y a à faire plier l'artisanat électrique aux habitudes du lieu. Maata et son apprenti sont d'une infinie patience, d'une ténacité à toute épreuve, indifférente à l'échec comme à la réussite. Leur travail occupe un peu de temps ; leurs lumières, de pauvres ampoules, dissipent un peu de nuit, mais l'obscurité ne renonce jamais. La gravité non plus, qui fait sans cesse tomber les papiers qu'un chauffeur de taxi collectif essaie de faire tenir à son pare-soleil. Enfin, le film est cerné par la mer et par le désert. Du rivage, on voit les carcasses d'immenses cargos échoués là par des armateurs qui préfèrent laisser leurs déchets aux pauvres. La mer a aussi amené des gens, vivants - comme ce Chinois qui courtise une belle de Nouadhibou en chantant son amour sur un karaoké - ou morts - comme ce cadavre amené par les flots. Dans les dunes, on peut marcher des heures sans avoir la sensation de s'être déplacé."
Thomas Sotinel, Le Monde


«Tout respire le cinéma dans Heremakono, un cinéma du regard, posé de manière à faire naître l�harmonie ou le burlesque, découpé en saynètes délimitées dans leur juste durée, cadré avec les couleurs et les angles qui se laissent oublier, tout en impressionnant la mémoire d�une manière indélébile. Les films de Sissako sont le plus bel hommage qu�on puisse rendre à l�élégance africaine.»
Antoine de Baecque, Libération


«Les gestes, chercher de l'eau, faire à manger, balayer, nettoyer, indéfiniment remettre à sa place le panier qui tombe dans le taxi collectif, donnent un rythme que scandent les vagues de l'océan ou les envolées de sable du désert. De cet endroit qui ne doit rien au folklore villageois et aux farces et attrapes de certains films africains, touché au contraire (au sens d'abîmé) par la société industrielle qui a laissé ses épaves qu'on voit flotter dans le port, lieu à la fois vierge et délabré, le cinéaste révèle l'aspect contemplatif.(...) Nous sommes pauvres mais nous avons autre chose. C'était déjà le message ironique et un peu désabusé du précédent film de Sissako, La vie sur terre. Nous attendons, mais cette attente nous permet de voir ce qui compte, de rire et de pleurer, et, paradoxalement, de vivre dans l'instant et de lui trouver du goût, car attendre c'est aussi espérer.»
Guy-Th. Bedouelle, Choisir (Fribourg)

«Le bonheur se trouve-t-il ailleurs ? Sissako se garde bien de répondre, nous abandonnant à notre rêverie. Au contraire de tant d'autres cinéastes, lui au moins nous a vraiment ouvert une lucarne sur le monde.»
Norbert Creutz, Le Temps