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Adieu Alain Tanner

11.09.2022

Le cinéaste genevois est décédé à l'âge de 93 ans.

Né le 6 décembre 1929, le réalisateur genevois Alain Tanner a marqué l’histoire du cinéma suisse comme aucun autre depuis les années 1960. Il est décédé ce 11 septembre 2022 à l'âge de 93 ans. Ami et fidèle compagnon de travail de trigon-film, il nous avait confié il y a vingt ans deux films qui se déroulent respectivement au Sud et à l'Est, et qui correspondent donc aux critères du catalogue trigon-film. D’une part, «Une Ville à Chandigarh», qu'il avait tourné en 1966 sur Le Corbusier et son architecture dans le sous-continent indien, et qui est accompagné d'un texte de son ami et co-auteur John Berger. D’autre part, «Les Hommes du port», une méditation sur notre rapport au travail, qui propose un retour très personnel dans le port de Gênes en 1995, là où Alain Tanner avait travaillé durant ses jeunes années, en rêvant de voguer ailleurs.

Nous aimons nous souvenir de Tanner, de sa voix forte et de ses films qui ont accompagnés notre génération et la suivante, depuis ses premiers essais documentaires «Nice Time» (1957) et «Les Apprentis» (1964) jusqu'à la sortie du célèbre «Charles mort ou vif» (1969), en passant par la Rosemonde si merveilleuse incarnée par Bulle Ogier dans «La Salamandre», sans oublier l’intense voyage en Algérie de «Retour d'Afrique» (1972). «Jonas, qui aura 25 ans en l'an 2000» (1976) fut le plus grand succès de Tanner. A l’affiche des cinémas pendant des mois, le film rassemble toute une génération dans une colocation. Ils y sont tous: Jean-Luc Bideau, Myriam Boyer, Jacques Denis, Roger Jendly, Dominique Labourier et Miou Miou. Il y a aussi Myriam Mézières, avec laquelle Tanner a écrit et tourné des années plus tard des œuvres expérimentales comme «Une Flamme dans mon cœur» (1987) ou «Le Journal de Lady M» (1993).

«Charles mort ou vif» est une émanation de Mai 68, «une petite fresque d'histoire», avec François Simon. A Locarno, Alain Tanner, qui avait fait ses études de cinéma à Londres, a reçu le Léopard d'or pour ce premier long-métrage. Plus tard, il a constaté, lui qui était depuis longtemps une figure-clé du nouveau cinéma suisse, que la narration et la forme d'un film dépendent fortement du lieu et de la date de sa réalisation, ainsi que des circonstances dans lesquelles il a été tourné. On peut donc considérer les films d'Alain Tanner comme les reflets d'un pays qui a perdu une grande partie de sa sensibilité. Ils recèlent de précieux échantillons de ce qui faisait la Suisse.

Alain Tanner a toujours été conscient des limites du cinéma et les a thématisées: «Même si tu filmes à l'intérieur de mon ventre, tu ne peux pas voir qui je suis», dit une fille dans «Le Milieu du monde» (1974). Impossible de ne pas voir comment il rend hommage à Lisbonne dans «Dans la ville blanche» en 1983, comment il s'incline devant Bruno Ganz et comment il découpe en quelque sorte ses propres images avec une simple caméra Super 8. Ses personnages philosophent devant nous. Ils racontent la vie et le cinéma.

Avec «Fourbi», en 1996, Tanner a fait connaître Rosemonde à une nouvelle génération. Le Genevois aimait laisser sa caméra balayer ses personnages qui, si on les réunit dans une même pièce, forment une grande famille. A plusieurs reprises, il a enregistré avec un sens quasi sismographique les plus infimes secousses, comme dans «Messidor» (1978) avec l'évasion de deux jeunes femmes qui exprime le mouvement des années soixante. Son «Jonas» ne pas seulement dit les espoirs de toute génération, il en a aussi repoussé les limites. Tanner a toujours cherché… Sa manière de raconter était elle-même une recherche. Et la recherche implique qu'elle ne peut pas toujours mener au but. Ses films sont très proches de leur époque et ont toujours une longueur d'avance. Ils forment, comme le montre chaque (re)vision, une sorte d'album de famille dans lequel les personnages, ici et maintenant, méditent pour nous sur l’existence, sur le fait que c'est le chemin qui compte et non la destination... Adieu Alain, merci pour tout!

Walter Ruggle

DES FILMS À (RE)VOIR

Une sélection des films de Tanner est disponible en VOD sur filmingo.ch.

Les films documentaires «Les Hommes du port» et «Une Ville à Chandigarh» sont réunis aux éditions trigon-film dans un coffret DVD.

Plus d'informations sur Les hommes du port
Plus d'informations sur Une ville à Chandigarh - Le Corbusier

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