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Adieu Fernando le flamboyant

10.11.2020

Le réalisateur et politicien argentin est tombé victime du Covid 19

Il s’est battu inlassablement contre l’injustice dans son pays l’Argentine, mais aussi dans le monde entier, et encore plus à mesure qu’il prenait de l’âge. Il s’est engagé dès sa jeunesse, a survécu aux balles d’un attentat politique qui le visait, mais il était toujours là. On avait presque fini par le croire aussi indestructible qu’il était inflexible dans ses convictions. Et voilà que le 6 novembre 2020, un vulgaire virus l’a emporté à Paris, après 23 jours de combat contre une infection au Covid19. Il venait juste d’être nommé ambassadeur de l’Argentine auprès de l’UNESCO.

Les années de braises

Fernando Ezequiel Solanas était né le 16 février 1936 à Buenos Aires. Là-bas, tout le monde le surnommait «Pino». Il étudia le théâtre, la musique et le droit. Par la suite, il ne se contentait pas de mettre en scène ses films, il en composait aussi, en partie, la musique. Les années soixante ont été marquées par une effervescence politique et artistique dans le monde entier. Ferrando Solanas a été le témoin et aussi un acteur fondamental de cette époque. Après un premier court-métrage réalisé en 1962 (Seguir Andando), il crée avec Octavio Getino, historien et réalisateur espagnol, le mouvement Cine Liberación qui «se proposait de lutter pour un autre mode d’utilisation du cinéma», laissant de côté les modes de production dominants. C’est fortement inspiré par l’Ecole de Santa Fé de Fernando Birri que les deux réalisateurs tournent La hora de los hornos – L’heure des brasiers en 1968. A la fois documentaire, pamphlet politique, cette œuvre monumentale de quatre heures – qui influencera d’innombrables documentaristes dans le monde entier – traitait du néocolonialisme et du sous-développement avec pour corollaire la violence des pouvoirs soutenus par les Etats-Unis. Le film sera censuré dans son pays où il ne pourra être vu que clandestinement jusqu’à la fin des dictatures.

Le discours poétique

Directement visé par les militaires et l’extrême-droite argentine, Solanas dut fuir vers l’Europe. Installé à Paris, Pino quitte la caméra au poing et le documentaire pour entrer dans une période féconde où il réalisera quatre fictions. En France, il réalisera El exilio de Gardel (1985), une réflexion poétique, une expérimentation esthétique, où l’expression de l’exil se faisait au travers de la musique et de la danse. Dès la fin de la dictature, Solanas retourna à Buenos Aires où il réalisa ses deux œuvres de fiction majeures. D’abord, il y eut Sur, où la réflexion sur l’exil s’est poursuivie, à laquelle s’ajoutait celle de l’exil intime des prisonniers politiques restés sur place. Film magnifique, accompagné d’une musique de Piazzola, qui valut à Solanas une palme d’argent à Cannes en 1988. En 1998, ce fut El viaje (Le Voyage), œuvre immense, à la taille du continent sud-américain que le héros Martin Nunca traversera du Sud de la Patagonie au Nord du Mexique, en passant par une Buenos Aires sous les eaux gouvernée par un président grenouille ressemblant à s’y méprendre à Carlos Menem. Ici le discours se fait allégorique, teinté du fameux «réalisme magique», et lyrique, pourrait-on dire, exacerbé à l’extrême.

Le retour à la caméra au poing

Cependant, l’engagement politique de Fernando Solanas n’a jamais cessé. Dès son retour en Argentine, il se présente aux élections, devient sénateur de la province de Buenos Aires, continuant son combat contre l’injustice, la pauvreté. Il soutiendra la lutte pour la légalisation de l’avortement et ajoutera aussi la défense de l’environnement à ses combats. Muni de sa petite caméra vidéo, une technique qu’il a tôt fait de maîtriser, il jettera une lumière crue sur la misère qu’entraîna la crise économique qui frappa son pays. Caméra au poing, il tournera sa trilogie – Memoria del saqueo (Mémoire du saccage, 2004), La dignidad de los nadies (La dignité de ceux qui n’existent pas, 2005) et Argentina latente (2007). Toujours, dans toutes ses œuvres, Solanas a montré son amour pour son pays et son peuple, un amour et un respect que ce dernier lui rendait bien. Cette confiance est évidente dans ces derniers documentaires. Par la suite, Solanas dénonça le démantèlement du réseau ferroviaire argentin (La proxima estacion, 2008), puis vinrent ses documentaires dénonçant le saccage de la terre (Tierra sublevada, 2009, La guerra del fracking, 2013, El legado, 2016). Son dernier film, Viaje a los Pueblos Fumigados, sera présenté à la Berlinale 2018.

Le cinéma a perdu un maître, l’Argentine a perdu un combattant. Et trigon-film a perdu un ami cher.

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